Modèles de Structures Aléatoires de Type Réaction-Diffusion - Thèse de Morphologie Mathématique - Luc Decker, Ecole des Mines de Paris (1999)
La dernière étape du processus de dépôt plasma réside dans la
solidification rapide d'une gouttelette au cours de son impact avec
le substrat. La morphologie de son étalement en est bien sûr modifiée.
Nous nous plaçons dans l'hypothèse où il existe une forte différence de
température entre la gouttelette formée de métal en fusion, et le substrat,
ce dernier bénéficiant éventuellement d'un système de refroidissement. Dans cette
situation, un mécanisme de solidification par contact est privilègié.
On évite ainsi d'introduire directement une variable de température,
et le processus de solidification s'avère relativement simple à intégrer au
modèle. En effet, il se traduit par l'ajout d'une étape d' agrégation au cycle
élémentaire du Gaz sur Réseau. La procédure mise en oeuvre reprend le principe général du modèle
"Diffusion Limited Aggregation" (DLA) [Witten81] : une particule qui rencontre un obstacle
va s'y attacher pour en faire partie et ainsi permettre d'extension de l'obstacle.
Plus précisément, nous avons recours à une règle d'agrégation introduite initialement
par Brémond et Jeulin pour simuler - dans un Gaz sur Réseau - la croissance de
microstructures à caractère dendritique [Brémond94a-b].
Ce modèle de solidification diffère du modèle DLA sur les points suivants:
- La dynamique des particules est régie par le Gaz sur Réseau, alors
que dans le modèle DLA, il s'agit de marcheurs aléatoires indépendants, envoyés
séquentiellement dans le système. Dans un Gaz sur Réseau, tout l'espace libre renferme
des particules; de nombreuses particules peuvent ainsi s'agréger simultanément.
- Il existe deux catégories de particules. Seules les particules appartenant
à la première catégorie peuvent s'agréger, tandis que les particules qui appartiennent
à la deuxième catégorie jouent uniquement un rôle hydrodynamique dans la diffusion ou le
transport des particules.
- L'agrégation d'une particule qui rencontre un obstacle est conditionnée
par la réussite d'un tirage aléatoire avec la probabilité . De plus, cette
probabilité d'agrégation peut varier en fonction de l'espèce chimique (ou label)
des particules. Nous expliciterons par la suite le sens de ce paramètre dans notre modèle.
- Une condition supplémentaire sur l'angle d'incidence des particules avec l'obstacle
a été proposée par Brémond et Jeulin. Cette variante ne sera pas utilisée ici.
Lorsque les particules qui sont susceptibles de s'agréger sont en faible
densité et réparties uniformément dans l'espace, des structures de type
fractal sont générées, comme sur l'exemple de la Figure IV-11. Ces particules
peuvent être comparées à des suspensions qui viennent se fixer aux obstacles,
ce qui - en pratique -
a été utilisé pour modéliser la filtration d'un écoulement de fonte brute
contenant des impuretés [Brémond95].
Après transposition à notre contexte, la règle de solidification suivante est
appliquée:
Tout noeud du réseau appartenant à la frontière extérieure d'un
obstacle existant se transforme irréversiblement en un obstacle ponctuel si les deux conditions
suivantes sont vérifiées:
- Le noeud contient au minimum particules appartenant à une gouttelette,
donc à la phase .
- La réussite avec la probabilité d'un tirage aléatoire.
Pour rappel, la frontière extérieure d'un obstacle est constituée par tous les noeuds
libres du réseau qui disposent d'au moins un noeud voisin à l'intérieur de l'obstacle. Elle
forme la région du réseau où les particules rebondissent sur l'obstacle, et doit être
actualisée à chaque itération lorsqu'il y a croissance de l'obstacle. Par ailleurs, le
paramètre permet de contrôler la densité des particules qui se solidifient. Pour
, on évite ainsi qu'une particule isolée ne se transforme en un obstacle ponctuel, qui
occuperait un volume identique à celui qui est produit par la solidification de plusieurs
particules.
Grâce aux paramètres et , on dispose de fait d'une gamme étendue de modèles de
solidification. Un dernier élément intervient également: après solidification, les
particules peuvent être: soit retirées du système, soit maintenues en place. Dans
ce deuxième cas, elles continuent à jouer un rôle à l'interface solide-gouttelette.
Il en résulte alors que la matière solidifiée évolue encore légèrement, tel un
milieu pâteux. En pratique, les porosités microscopiques vont être comblées
à l'intérieur du dépôt produit par une gouttelette, lorsque leur volume est
de l'ordre d'un ou deux noeuds du réseau. A l'inverse, si les particules sont supprimées
après solidification, le dépôt présente de nombreuses porosités ponctuelles sans réelle
signification. Il semble qu'il s'agisse d'une conséquence peu souhaitable d'une solidification
instantanée. Sauf mention contraire, les simulations présentées se placent donc dans le cas
où les particules restent à l'intérieur du dépôt, sans pouvoir s'y déplacer.
Dans notre situation, la densité des particules à l'intérieur d'une gouttelette
est très élevée, et les agrégats obtenus diffèrent beaucoup des structures de la
Figure IV-11. De fait, la solidification d'une gouttelette s'effectue essentiellement
par l'avancée d'un front, qui génère un agrégat dense et peu découpé. La vitesse de
cette croissance de région est déterminée par la probabilité d'agrégation .
Les premières particules à entrer en contact avec le substrat se solidifient,
alors que la partie restante de la gouttelette - encore à l'état liquide - peut se
déformer et s'étaler sur la surface du substrat en constante évolution. Il existe
ainsi un phénomène de compétition entre l'étalement qui disperse les particules, et
la solidification qui met fin à leur mouvement.
Afin de mieux évaluer le rôle de la probabilité d'agrégation, nous avons effectué des
simulations de projection pour des valeurs de comprises entre et .
Une sélection de dépôts résultants (dans leur aspect final) est présentée sur
la Figure IV-12. Il y apparait clairement que la vitesse de solidification peut être
règlée avec précision, par comparaison avec une large gamme de morphologies de dépôts.
On connait en effet l'aspect réel des dépôts à partir d'observations au microscope de
sections d'échantillons [Cochelin96]. A l'aide d'une caméra ultra-rapide, il est également
possible d'enregistrer un processus réel de solidification. Dans le cas étudié, il semble
qu'une gouttelette s'étale fortement avant de se solidifier, ce qui correspond à une valeur de
comprise entre 0.005 et 0.02. Afin d'illustrer les possibilités du modèle, nous
effectuerons cependant des simulation pour des valeurs plus variées de .
Pour
, on note des effets de trame indésirables dans la propagation très rapide du
front de solidification: la géométrie du dépôt devient hexagonale.
D'un point de vue physique, nous avons vu que le paramètre permet de
contrôler la cinétique de solidification d'une gouttelette. Mais plus encore, il rend
en fait compte de la température de la gouttelette, ou précisément de l'écart entre
sa température et la température de solidification de l'alliage métallique dont elle est
constituée. Plus cet écart est faible, plus la solidification est rapide et la valeur de
élevée. Ainsi, une probabilité de solidification très élevée (
) traduira
la situation d'un grain de poudre infondu, c'est à dire d'un défaut. Comme nous allons
l'illustrer par la suite, une distribution des températures des gouttelettes liée aux
conditions opératoires pourra être reproduite, de même qu'un taux de défauts.
Decker, Luc. "Modèles de structures aléatoires de type réaction-diffusion". PhD diss. (191 p.), Paris, ENSMP-CMM, 1999.