Modèles de Structures Aléatoires de Type Réaction-Diffusion - Thèse de Morphologie Mathématique - Luc Decker, Ecole des Mines de Paris (1999)
Pour modéliser la projection d'une gouttelette, la première étape consiste à
la mettre en mouvement. Nous avons choisi d'appliquer un champ de force uniforme
en tout point du réseau, ce qui permet d'établir un entraînement régulier des
fluides. De fait, le déplacement des particules est biaisé dans une direction
fixée, selon la méthode introduite par Kadanoff et al. [Kadanoff87]. En
tout noeud sélectionné aléatoirement avec une probabilité , les vitesses
des particules sont susceptibles d'être modifiées, de façon à ce qu'elles
s'orientent davantage par rapport à la direction de la force appliquée. Pour
le modèle FHP-III, on repertorie les trois situations suivantes: 1) une particule
immobile est mise en mouvement dans la direction de la force; 2) une particule
en mouvement s'opposant à la force est immobilisée; 3) la vitesse d'une particule
subit une déviation d'un angle de
pour se rapprocher davantage
de la direction de la force. Cependant, le principe d'exclusion des Gaz sur Réseau
doit être respecté: la force ne pourra s'appliquer à une particule si "sa
cellule destination" est déjà occupée. L'intensité de la force dépend donc
de la probabilité , mais également de la densité des particules. Lorsque
les interventions sur les vitesses sont trop importantes (
), le deplacement des
fluides est forcé et le Gaz sur Réseau perd la plupart de ses caractéristiques hydrodynamiques.
Par ailleurs, il est crucial que la déviation des particules soit effectuée indépendamment de
leur phase. Dans le cas contraire, on observerait la déformation - voire l'applatissement
complet - d'une gouttelette en mouvement du fait de l'opposition d'un gaz porteur
totalement immobile et d'égale densité. De manière plus générale, le modèle
de base FHP ne convient plus lorsque l'on souhaite établir des vitesses différentes
en fonction de l'espèce (ou la phase) des particules: l'invariance Galiléenne n'est
pas vérifiée [d'Humières87].
En raison du déplacement des particules, le champ global des vitesses n'est plus
nul à présent. Or le modèle ILG n'applique pas les règles de collision standard
du modèle FHP, et fait au contraire dépendre ces règles de la couleur des particules,
qui interviennent dans le choix de la position des particules après collision.
L'équivalence avec un gaz sur réseau binaire n'est ainsi pas conservée.
Dans le cas de fluides en mouvement, il en résulte des incohérences hydrodynamiques, ce qui se traduit par des phénomènes qui n'ont plus
aucune signification physique. Des effets de trame au niveau des interfaces
entre régions de phase homogène peuvent en particulier être constastés; les
gouttelettes en mouvement tendent ainsi à se transformer en hexagones dont les cotés sont alignés
avec les directions principales du réseau. Dans une
seconde étape, nous nous proposons donc de modifier légèrement le modèle ILG :
- D'une part, seule une stricte redistribution des couleurs est autorisée. Il
s'agit d'appliquer les mêmes règles de collision en tout noeud du réseau - en l'occurence
celles du modèle FHP-III. L'objectif est ainsi de conserver intactes les propriétés
hydrodynamiques du modèle standard FHP, alors que la couleur des particules est transparente
vis-à-vis des opérateurs d'évolution (translations et collisions), à l'image de l'étape
de déviation des particules. Les configurations minimales du modèle ILG modifié sont donc
recherchées après avoir fixé définitivement les positions finales des particules après
collision. La look-up table des configurations est conservée, mais le codage
de son index d'accès fait intervenir les positions finales des particules en place des positions
initiales avant collision. Ce modèle est dit " daltonien" (en anglais: color-blind), c'est à dire
que son hydrodynamique est complètement découplée de la séparation des espèces. En
conséquence cependant, il ne reproduit plus une tension de surface au sens mécanique
du terme (loi de Laplace).
Pour ce modèle ILG modifié, on note une diminution substantielle de la
stabilité d'une gouttelette lorsque elle est placée dans un environnement immobile. Par contre,
cet effet est peu marqué dans le cas d'un fluide en déplacement, pour lequel l'influence du
mouvement brownien est quasi inexistante. Si l'on renouvelle l'expérience de décomposition spinodale
déjà mentionnée, à présent la croissance de régions homogènes par fusion s'interrompt
prématurement, en raison d'une diffusion trop forte des particules colorées.
- D'autre part, la déviation des particules par le champ de force est directement
traitée au sein de l'opérateur de collision, comme préalable à la redistribution des couleurs.
Finalement, les couleurs sont redistribuées parmi les positions des particules déterminées
par les règles du modèle FHP-III, immédiatement suivies par leur déviation probabiliste liée
au champ de force. Une gouttelette n'est introduite dans le système qu'à la condition que
l'écoulement laminaire du gaz porteur ait atteint son régime stationnaire, après quelques
centaines d'itérations selon la taille du réseau. Dans ces conditions précises, la gouttelette
reste parfaitement stable et maintient sa forme initiale au cours de son déplacement. Seuls ses
contours deviennent légèrement irréguliers. Plus la force appliquée est élevée - en relation
avec , plus la gouttelette peut conserver un aspect lisse. Au delà d'une probabilité de
déviation minimale, plus aucune particule appartenant à la gouttelette ne parvient à
s'échapper de celle-ci.
A ce point de la construction du modèle subsiste un problème majeur: la prise en compte
des obstacles éventuels. En effet, l'écoulement du gaz porteur est naturellement perturbé
par la présence d'obstacles solides dans le système - en l'occurence il s'agit
du substrat vers lequel on effectue la projection de matière. En conséquence, la trajectoire
d'une gouttelette est indirectement modifiée par les obstacles, en général de manière
indésirable ou exagérée. Considérons un simple exemple: si nous fermons complètement un coté
du champ de simulation par une plaque perpendiculaire à la direction de l'écoulement, la pression
du gaz porteur va rapidement augmenter à partir du voisinage de la plaque et finalement
empêcher une gouttelette de l'atteindre et de s'y étaler. Comme une gouttelette est entraînée
par l'écoulement du gaz porteur, elle sera aussi susceptible de se déformer en présence de
turbulences, voire de changer de direction pour éviter l'obstacle vers lequel
elle est dirigée. Or dans notre contexte, le milieu environnant - c'est à dire la plume
de plasma - a une densité ainsi qu'une viscosité bien inférieures (de plusieurs ordres de
grandeur) à celle d'une gouttelette constituée d'un alliage métallique en fusion. On s'attendrait
donc à ce que le gaz porteur ait une influence presque négligeable sur le comportement et la
trajectoire d'une gouttelette. Afin d'atténuer les effets du gaz porteur, nous avons combiné
les deux solutions suivantes: [Decker97]
- -
- L' homogénéisation permanente du gaz porteur: en fonction de la valeur
de référence de la densité en particules, un opérateur stochastique va supprimer
quelques particules de type lorsqu'elles sont en excès (
), et au contraire
en ajouter lorsqu'elles font défaut (
). Ce processus s'apparente
au mécanisme réactionnel de type création-annihilation [Decker96] que nous avons présenté
au chapitre III-2. La probabilité d'une telle intervention sera d'autant plus élevée que
l'écart est important entre le nombre de particules en un noeud et sa valeur moyenne de réference
(
). A l'opposé, aucune homogénéisation ne sera effectuée lorsque l'écart est inférieur à 2
particules, de sorte qu'une partie des fluctuations aléatoires intrinsèques au modèle de Gaz sur
Réseau soit conservée. Enfin, il est évident que l'homogénéisation n'a pas non plus lieu à
l'intérieur et au voisinage immédiat d'une gouttelette. Nous appellerons coefficient
d'homogénéisation le multiplicateur des probabilités d'intervention. Un avantage notable de
l'homogénéisation est de résoudre le problème des conditions aux limites lorsque le système
n'est pas périodique. Dans le cas d'un écoulement, des particules de gaz porteur sont automatiquement
ajoutées sur la "colonne d'entrée" du réseau, et retirées partout où elles s'accumulent (au niveau des
"zones de sortie").
- -
- L' absorption du gaz porteur au niveau des limites des obstacles présents dans
le système. Il s'agit de résoudre le problème du devenir du flux de particules
de gaz porteur, en particulier lorsque le champ de la simulation est fermé. La procédure
d'homogénéisation décrite ci-dessus peut ne pas être suffisante. Alors que
dans un Gaz sur Réseau classique, les particules rebondissent localement lorsqu'elles
se trouvent en un noeud appartenant à la limite d'un obstacle (selon une notion propre
à la géométrie discrète), dans notre modèle les particules de gaz porteur seront
à présent absorbées par l'obstacle avec une probabilité .
Nous appelerons la probabilité de rebond sur les obstacles des particules du gaz porteur;
pour nos premières simulations de projection, sera toujours égale à 0.
Dans le cas d'une expérience réelle, l'interaction d'un fluide en mouvement avec un obstacle
solide conduit à l'évacuation
de ce fluide par les extrémités de l'obstacle, établissant ainsi un écoulement à
l'échelle de l'obstacle. Or cet écoulement ne peut être pris en compte par notre modèle
puisque la taille du champ de simulation ne permet pas d'y placer le substrat dans sa totalité -
il s'agit par exemple d'une pièce mesurant plusieurs dizaines de centimètres.
En conclusion, le gaz porteur doit se contenter de jouer un rôle dans la cohésion des gouttelettes
et permettre leur déformation élastique. A défaut de bien appréhender d'éventuelles
turbulences liées à la géométrie du système, ou encore aux interactions entre gouttelettes,
il reste préférable de conserver un milieu environnant qui soit aussi neutre que possible.
En application de ces principes, nous présentons sur la Figure IV-9 le résultat d'une
première simulation d'impact d'une gouttelette projetée sous incidence normale
contre un obstacle plan fermant le système. On observe en particulier la propagation
symétrique d'une onde de choc, semblable à une vague dont la hauteur diminue
progressivement avec l'étalement de la gouttelette au contact avec l'obstacle. Les
différents paramètres du modèle ont été étudiés individuellement et ajustés
de manière expérimentale : les résultats de nombreuses simulations ont été comparés avec les morphologies
et les comportements réels décrits dans de nombreux travaux [Bhola96,Rolland96,Cochelin96].
Les gouttelettes doivent ainsi conserver leur forme au cours de leur
trajectoire, même au voisinage de l'obstacle; leur vitesse doit rester uniforme. Nos
critères d'évaluation reposent aussi sur l'aspect de la déformation d'une
gouttelette au moment de son impact et sur l'absence d'effets de trame tels que la présence de contours anguleux, alignés
dans les directions principales du réseau hexagonal. Ces effets indésirables sont liés aux
rebonds massifs des particules en début d'impact et à une compression trop importante des fluides.
L'intensité de la force appliquée pour provoquer le déplacement de la gouttelette ()
détermine en partie la morphologie de l'impact, en relation avec la densité de particules .
Par inclinaison de l'obstacle plan, il est possible de faire varier graduellement
l'angle d'incidence d'une gouttelette. Les deux exemples de la Figure IV-10 montrent que la
morphologie de la déposition est complètement transformée par la pente du substrat, même
si cette dernière est faible: le modèle d'impact est extrêmement sensible à la géométrie
de l'obstacle. En particulier, la matière est entraînée vers le bas, conformément à
l'action du champ de force qui agit en quelque sorte comme un champ de gravité.
Decker, Luc. "Modèles de structures aléatoires de type réaction-diffusion". PhD diss. (191 p.), Paris, ENSMP-CMM, 1999.