A partir du modèle de Ginzburg-Landau, nous avons construit deux nouveaux
modèles qui continuent à présenter des structures spirales pour des combinaisons
précises de paramètres.
Le modèle des Hélices
Ce modèle à trois espèces est basé sur les équations suivantes:
(III.-28) |
On reconnaitra en partie le modèle complexe de Ginzburg-Landau (équation III-27);
le terme
a été transposé afin d'intégrer la
concentration de la nouvelle espèce. Les fonctions de réaction
et n'ont pas été autrement modifiées; la fonction
de la nouvelle espèce ne dépend pas de sa concentration .
La Figure III-45 présente trois réalisations de ce modèle, pour différentes
valeurs des paramètres et
. Dans la situation (a), on
a obtenu des structures biphasées quelconques, assez similaires à celles qui sont générées par
le modèle de Schlögl. Cependant, les frontières entre régions homogènes (bleues et jaunes)
oscillent spatialement : des vagues - ou ondes - arrondies se propagent le long des interfaces,
en un mouvement circulaire. Pour la réalisation (b), l'agitation du milieu est beaucoup plus forte. Les
vagues ont pris une forte amplitude et donnent un aspect dentelé aux interfaces, qu'elles découpent
profondément. On observe également l'amorce de quelques structures spirales. Enfin, l'intérêt
de la réalisation (c) est tel que nous avons baptisé ce nouveau modèle à partir de son observation.
A la frontière des régions homogènes, des vagues en "dents de scie" se propagent toujours. Mais
à présent, on distingue de nombreuses structures singulières qui prennent la forme d' hélices
à une ou plusieurs "pales" : il s'agit de régions si peu étendues qu'elles se réduisent à une
interface constituée de quelques dentelures disposées symétriquement. Ces hélices sont
"naturellement" en rotation; elles sont présentes dans les deux phases. Sur la réalisation présentée,
on décompte hélices simples (à une seule pale), hélices doubles (à deux pales), une
seule hélice triple ainsi qu'une hélice à quatre pales. Toutes ces structures
ne sont que transitoires, mais elles se maintiennent durant plusieurs
milliers d'itérations. Il est surprenant qu'un modèle de réaction-diffusion
puisse produire des comportements aussi complexes - ces hélices ne seraient-elles pas des
moteurs chimiques ?
Le modèle des Membranes
Nous avons construit ce modèle à quatre espèces en introduisant des
fonctions de réaction toutes semblables, qui sont de la même
forme que celles du modèle de Ginzburg-Landau - les variables
étant permutées. Comme pour le modèle des Hélices, le
module
fait intervenir toutes les concentrations.
Le système d'équations de réaction-diffusion prend la forme suivante:
(III.-29) |
La réalisation présentée sur la Figure III-46a explique le nom donné à ce nouveau modèle.
Le milieu se divise en régions de concentrations homogènes, que l'on assimilera à deux phases
différentes. Ces structures montrent une agitation perpétuelle, et entrent en collision.
Les zones épaisses sont alors compressées jusqu'à devenir de fines membranes, qui cependant
ne cèdent presque jamais. Ce processus se produit de manière identique pour les
deux phases; des mouvements de rotation des structures (amorces de spirales) l'accélèrent,
et augmentent leurs imbrications. La compression localisée des structures est aussi à l'origine
de très nombreuses excroissances, en formes bien reconnaissables de "champignons" ou de "gouttes".
Ces excroissances se trouvent souvent à l'extrémité d'une membrane, qui est telle un "fil"
laissé par l'étirement de la structure conductrice au cours de sa trajectoire.
On pourra percevoir le mode d'évolution du système en comparant les images à et
itérations. Pour ce modèle, l' augmentation de la complexité du milieu
en fonction du temps constitue une caractéristique peu commune, en comparaison avec tous les
autres modèles déjà présentés. Après itérations, le milieu s'est ainsi tranformé
en un emmêlement inextricable de membranes reliant des grains plus épais.
Lorsque l'on diminue légèrement le paramètre , les mouvements de rotation augmentent nettement. Des structures aléatoires originales en forme de "croissants" sont d'abord obtenues (Figure III-46b, image de gauche). Progressivement, des enroulements s'organisent à une échelle de plus en plus grande. Pour itérations, on distingue déjà qu'une structure spirale unique tend à s'imposer. L'image obtenue à itérations montre la même structure après complet développement; on remarquera aussi qu'il s'agit d'une spirale à trois branches. En raison des conditions aux limites périodiques, cette spirale ne parvient pas à se maintenir (elle interfère avec elle-même). Le milieu retourne ensuite dans un état moins organisé, avant qu'une autre spirale ne se forme à nouveau.
Le modèle des Anneaux
Cette méthode a été appliquée au modèle du Brusselator dans le but de générer
des structures aléatoires à base d'anneaux, telles qu'elles apparaissent sur la
fourrure de certains animaux. L'idée est assez simple : les disques réguliers
produits par le Brusselator correspondent à des maxima de la concentration .
Pour obtenir des anneaux, il serait nécessaire que les concentrations diminuent
au centre de ces disques. A la dynamique d'évolution de la concentration ,
nous ajouterons donc un terme du type
, qui prend une nette importance
lorsque augmente. Les équations de réaction-diffusion
de ce nouveau modèle deviennent alors :
(III.-30) |
Pour des combinaisons précises de paramètres, ce modèle permet effectivement d'obtenir des ensembles d'anneaux. Cependant, les structures recherchées ne sont que transitoires - du moins dans les simulations qui ont été produites. La réalisation présentée sur la Figure III-47 montre un comportement oscillant, avec une période d'environ itérations. Chaque oscillation implique une phase ascendante correspondant à la formation de structures de plus en plus contrastées. Après le passage par un maximum, ces structures s'estompent, puis passent temporairement par un second maximum plus faible. Elles finissent par disparaître presque totalement; le cycle recommence alors. Les premières oscillations ne génèrent que des structures à l'aspect de "taches" (image a), déjà intéressantes par leur plus grande variabilité de formes en comparaison avec les disques du Brusselator. Des anneaux apparaissent lorsque les oscillations suivantes passent par leur maximum principal (image b). Un léger déphasage spatio-temporel peut cependant être constaté, tous les anneaux n'atteignant pas simultanément leur maximum d'intensité. Au cours de leur élargissement progressif, les anneaux se rencontrent et se disloquent (image c). Le maximum secondaire consécutif ne s'accompagne pas toujours de structures bien définies, selon les oscillations. Dans le cas présenté (image d), on observe de très intéressants anneaux brisés, formés de deux arcs de cercle non jointifs. Ce type de structures s'approche bien de certaines taches (ou ocelles) observées dans la nature.
Nous avons expérimenté des décroissances linéaires des coefficients de diffusion de type :
(III.-31) |
avec | (III.-32) |
Cette méthode a été appliquée au modèle de Ginzburg-Landau (voir Figure III-48)
ainsi qu'au modèle de Maginu (Figure III-49). Une règle commune se dégage
des comportements des modèles lorsque les coefficients de diffusion
tendent vers zéro. Si le phénomène est lent par rapport à l'évolution
du modèle, le résultat final (lorsque atteint 0) n'est que
peu différent du modèle initial. Les structures obtenues présentent
une plus grande finesse, en raison du changement d'échelle provoqué
par la diminution continue de la diffusion. Si le phénomène se produit
durant la génèse des structures, leur morphologie finale en est complètement
transformée. Il s'agit alors d'un couplage entre les réactions, la diffusion,
et la "solidification" des constituants; il se produit une
compétition entre le développement de structures et leur fixation.
Des changements d'échelle importants sont induits durant
la morphogénèse. Pour des paramètres assez proches, les structures obtenues sont
très différentes. En fait, la phase de formation des structures dure
quelques centaines d'itérations seulement pour la
plupart des modèles, en fonction de la force des réactions . En
conséquence, cette phase est très sensible aux variations de diffusion
selon qu'elles se produisent plutôt vers son début ou vers sa fin.
[] [] Sur la Figure III-48a, les coefficients de diffusion ont diminué lentement, alors que les structures spirales du modèle de Ginzburg-Landau s'étaient déjà formées presque normalement. Les branches des spirales sont de plus en plus fines lorsque l'on s'approche de leur centre. Le milieu prend ainsi un caractère fractal (peu marqué). Au contraire, lorsque les coefficients de diffusion ont baissé plus rapidement, un milieu aléatoire hiérarchique a été généré (Figure III-48b). Des structures en forme de "bulles" contiennent des populations de spirales de petite taille. Chaque bulle constitue un milieu indépendant; les structures qu'elle contient sont influencées (et déformées) par sa forme, soit les conditions aux limites fixées par son contour. Dans le cas du modèle de Maginu, un labyrinthe est obtenu lorsque le rapport des coefficients de diffusion de l'inhibiteur par rapport à l'activateur augmente lentement (Figure III-49). Ce labyrinthe est similaire à ceux que nous avons déjà présentés; ses parois semblent un peu plus auguleuses. Par contre, nous avons généré une grande variété de structures lorsque augmente rapidement; dans ce cas, le coefficient de diffusion de l'activateur tend rapidement vers zéro; l'inhibiteur continue à diffuser normalement. Des structures biphasées d'anneaux et de grains très imbriqués (image b) peuvent alors apparaître. L'image (c) montre un milieu à deux échelles, qui est autodual: à l'intérieur d'une région "bleue" se trouvent des grains "oranges", et réciproquement. Ces grains peuvent aussi remplir tout le milieu, comme sur l'image (d). Dans ce but, on a initialisé le système avec un léger déséquilibre dans la concentration de l'inhibiteur, qui prédomine sur l'activateur; des textures ayant l'aspect de "peau de crocodile" sont alors générées. D'autres structures ayant l'aspect d'empreintes digitales - formées de lignes concentriques - ont aussi été obtenues (image f). Sur l'image (e), on observe une transition entre les structures des images (b) et (f), pour des paramètres intermédiaires. On peut remarquer que la plupart de ces milieux conservent un aspect de "labyrinthe".
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