Considérons un Gaz sur Réseau FHP à trois espèces - c'est à dire
avec trois couleurs de particules différentes. Son opérateur de
réaction est construit avec une condition supplémentaire: seuls
les changements de couleur des particules sont autorisés. Dans ce cas,
il y a conservation du nombre total de particules en chaque noeud
(de la matière totale).
Par conséquent, les réactions chimiques n'engendrent aucun gradient
de pression qui serait à l'origine d'un transport de particules.
Dans notre exemple, nous allons expérimenter les effets d'une
règle de réaction très simple: les probabilités de transition
sont fixées de telle manière qu'une espèce
chimique dont la concentration est localement faible, puisse
réagir pour se transformer aléatoirement en l'une des autres
espèces possibles, de manière équiprobable (pour rappel, l'espèce réactive
est sélectionnée aléatoirement de manière uniforme en chaque site).
Toutes les espèces
jouent ainsi un rôle interchangeable, et
ne dépend que de
(x,t), selon la même loi pour chaque
espèce. Arbitrairement, une concentration dite "faible" se traduira
par
, quelque soient les concentrations des
autres espèces. La Figure III-8 montre l'évolution
à long terme d'une réalisation de ce modèle (probabilités
indiquées en légende), qui est à l'origine de
structures aléatoires transitoires. Des comportements
très intéressants peuvent être observés, en particulier une décomposition
en domaines homogènes qui est similaire à une tension de surface macroscopique
montrant une coalescence de domaines.
Compte tenu des conditions aux limites périodiques, pour
il n'existe ainsi plus qu'un seul domaine pour chaque espèce. Cependant,
la quantité de matière d'une espèce donnée n'est pas conservée durant
l'étape de réaction, comme ce devrait être le cas pour une tension
de surface. A ce sujet, nous présenterons un modèle de Gaz sur Réseau
constitué de deux fluides immiscibles (le modèle ILG) dans notre dernière partie.
Concernant notre "décomposition réactive", des évolutions différentes
peuvent être
constatées à partir de simulations du même modèle, en
modifiant simplement les germes utilisés pour initialiser le générateur
de nombres aléatoires. En particulier, d'autres simulations se sont achevées
par un front parfaitement droit séparant deux espèces restantes [Decker96];
ce point reflète l'instabilité du modèle.
Pour des temps suffisamment grands - de l'ordre de itérations
pour les dimensions des réseaux utilisés - on estime qu'en général seule
une espèce reste présente dans le système. D'autres expériences ont consisté à
augmenter le nombre d'espèces en présence, la règle de réaction à appliquer pouvant
se généraliser aisément. Une décomposition en domaines similaire a été ainsi observée
pour un modèle incluant dix espèces différentes, mais sa convergence était extrêmement
lente.
La cinétique du modèle peut également être étudiée: la Figure III-9 donne
les courbes des concentrations moyennes des trois espèces (pour la réalisation
de la Figure III-8). On observe qu'une nette séparation se produit dès le
début de la simulation (après itérations environ), lorsque l'une des
espèces (représentée en blanc sur la Figure III-8) connaît une croissance plus forte
au détriment des deux autres. Ce déséquilibre des concentrations
moyennes n'apparaît que bien plus tardivement dans les textures générées, alors qu'il est
présent presque dès au début de la simulation. La symétrie initiale du modèle
est ainsi perdue en raison de fluctuations aléatoires et d'instabilités.
Finalement, nous tirons avantage de ce nouveau modèle pour
observer les conséquences de champs de déviation des particules
sur le processus de décomposition en domaines. Des conditions
d'entraînement des vitesses de type tourbillonnaire (ou vortex)
peuvent être
imposées en déviant tangentiellement les vitesses d'une partie
des particules à travers la surface d'un anneau centré sur le champ
de simulation.
La force de ce vortex dépend de fait de la densité des noeuds
qui ont à subir cette déviation. Cette manière classique
de forcer l'écoulement des particules a été introduite par
Kadanoff [Kadanoff87] afin de générer des champs de gravité;
nous y ferons également appel dans notre dernière partie, en donnant
davantage de détails sur la procédure mise en oeuvre.
Comme on le constatera sur la Figure III-10, la morphologie
des régions en est totalement transformée, et s'adapte à la vorticité
locale. L'entraînement des particules s'oppose à la création
de domaines homogènes de grande étendue comme sur la simulation
de la Figure III-8. De plus, en raison des conditions aux limites
périodiques, les déformations des structures résultent des interactions
entre une infinité de vortex régulièrements placés sur une grille carrée.
D'autres types d'entraînements ont également été expérimentés: sur la
Figure III-11, un écoulement de Poiseuille est imposé dans un canal
fermé. Il est ainsi à l'origine de courbures paraboliques dans les formes des
structures générées, qui se comportent en quelque sorte comme des marqueurs
du flux de particules en plus des réactions entres espèces. Pour ce type d'écoulement,
la vitesse des particules est nulle sur les bords horizontaux du domaine (qui
sont fermés par un obstacle plan), alors
qu'elle est maximale sur son axe central. Lorsque l'on impose en plus
un rétrécissement dans un tel canal, des textures extrudées peuvent
être obtenues, comme sur la Figure III-12. Grâce à un
modèle de type "Lattice Boltzmann", Weimar et Boon [Weimar96] ont également
réalisé des simulations qui montrent l'influence d'un écoulement sur
la genèse de structures par réaction-diffusion, en présence d'obstacles.