Tout phénomène physico-chimique impliquant diffusion (ou transport) et réactions
chimiques peut être décrit par un modèle de réaction-diffusion.
L'intérêt de cette classe de modèles en tant qu'outil pour la génèse de morphologies
aléatoires fait l'objet de la partie centrale de cette thèse.
Au travers de nombreuses simulations, nous allons donner
un large aperçu de la diversité des textures
ainsi synthétisées à deux ou trois dimensions.
Lorsqu'ils sont maintenus loin d'un équilibre thermodynamique, certains systèmes
couplant réaction et diffusion de fluides ont la capacité de produire des
variations spatiales de concentrations sous la forme de motifs qui présentent
un haut niveau d'organisation [Turing52,Nicolis77]. Comparés aux
textures rencontrées dans la nature, ces motifs
montrent un degré de réalisme rarement atteint avec d'autres catégories de
modèles. En 1952, dans les fondements d'une théorie de la morphogénèse chimique,
Alan Turing a ainsi émis l'hypothèse qu'un mécanisme de réaction-diffusion
est réellement à l'origine des structures présentes dans certains tissus biologiques
- une chimie du vivant en quelque sorte. Si une telle hypothèse n'a jamais pu
être démontrée, elle reste d'actualité alors que, dans ce domaine, les
simulations informatiques conservent une large avance sur les expérimentations
en laboratoire. En construisant un modèle mathématique
simple à base d'équations aux dérivées partielles,
Turing est parvenu à reproduire les structures qu'il observait. Ces toutes
premières simulations étaient calculées manuellement. Mais presqu'en visionnaire,
Turing prévoyait déjà l'intérêt extraordinaire de l'ordinateur dans
ce domaine; nous espérons bien participer à lui donner raison.
Par ailleurs, le modèle de Turing ne fait intervenir que deux variables, qui représentent
deux espèces chimiques imaginaires. Un système réactif réel implique souvent
des dizaines d'espèces - ou même des centaines en biologie. Il semble que ce
point pourrait expliquer: d'une part pourquoi les textures réelles sont plus
variées que celles qui sont actuellement simulées, et d'autre part les
différences - certes peu importantes - entre modèles et réalité. En conséquence,
les modèles doivent être considérés pour la morphologie des structures
qu'ils produisent, et non en tant que représentation quantitative d'une réalité
a priori bien plus complexe.
Dans notre cadre, nous nous contenterons d'évoquer quelques exemples qui se prêtent
particulièrement bien à l'application des textures générées par réaction-diffusion.
En sciences de la Vie, les similarités les plus fortes se rencontrent dans les fourrures
de certains mammifères (zébres, léopards et autres félins, etc...), dans
la robe striée de certains poissons tropicaux, les plumages colorés d'oiseaux
exotiques ou encore la pigmentation de coquillages. Dans tous ces cas, chaque
individu montre un aspect légèrement différent et
peut être considéré comme une réalisation d'un processus aléatoire. Les
morphologies réelles des taches, rayures ou ocelles présentent une diversité plus
grande par rapport aux textures de synthèse disponibles; nous proposerons quelques
extensions des modèles existants pour tenter de combler quelque peu cet écart.
En métallurgie, la structure de certains alliages ou eutectiques est
également très proche des textures produites par réaction-diffusion.
Pour commencer, nous introduirons les équations de réaction-diffusion. D'une part, ces équations donnent un cadre mathématique aux modèles. D'autre part, elles permettent de les décrire formellement, autorisant ainsi leur généralisation à des domaines éloignés de la chimie, où les variables ne représentent plus nécessairement des concentrations. Le cas particulier du modèle linéaire de réaction-diffusion sera ensuite abordé. Pour ce modèle uniquement, les équations admettent une solution analytique et les expressions théoriques de mesures telles que l'auto-covariance peuvent être déterminées [Jeulin91]. En relation avec notre introduction aux modèles aléatoires à grains primaires, nous présenterons une simulation de ce modèle lineaire par implantation de fonctions primaires. Les simulations de réaction-diffusion seront aussi au centre des deux chapitres suivants. Dans le premier, la diffusion est prise en charge au niveau microscopique par un Gaz sur Réseau, tandis que des textures sont générées par l'ajout de réactions chimiques entre particules. La possibilité de déformer ces textures en intervenant sur l'hydrodynamique du système constitue le principal avantage de cette approche. Dans le second chapitre, plusieurs systèmes d'équations de réaction-diffusion seront directement implantés au niveau macroscopique par la méthode des différences finies, à deux et trois dimensions. A notre connaissance, il n'existe actuellement que bien peu de travaux concernant les aspects tri-dimensionnels de ces modèles, et les champs de simulation utilisés étaient encore de dimensions très réduites il y a quelques années (une grille de points dans [DeWit92]). Les difficultés qui ont été surmontées relèvent de l'important volume de calculs à réaliser - la parallélisation du problème a été très utile - et de la manière de visualiser les résultats. Enfin, nous proposerons quelques approches pour l'exploration de nouveaux modèles qui soient a priori intéressants. En particulier, la variation des coefficients de diffusion au cours des réactions s'avère extrêmement prometteuse. Cette méthode a déjà permis de produire des textures bien plus variées et encore inédites, montrant par exemple une hiérarchisation des structures.